C’était l’hiver. Les maisons avalent tôt leurs propriétaires pour les recracher le lendemain ignorant tout des secrets des terribles nuits…
J’étais appuyé contre l’embrasure de la porte. Je la regardais avec une grande compassion. Elle pérorait à haute voix : « J’ai mis un crapaud sur ma tête et nommé Fatima ma mère ! » la malheureuse répétait la même phrase jusqu’à l’excès. De mon côté, j’essayais d’analyser cette proposition afin de trouver une explication, une métaphore à ses propos, en vain… Un certain Rabie, habitant du quartier, la chassait à coup de balai. Mais au fond, Rabie est un garçon merveilleux. Taquiner la malheureuse B…, était une simple façon de plaisanter et de la divertir. B… mime de partir, quand le propriétaire du restaurant l’interpela :
-Allez, reviens, reviens ! Insista Chadli avec supplication pour l’entretenir d’avantage.
La majorité des gars présents sont des licenciés dont les uns chôment et d’autres vivant d’un emploi instable comme c’est bien le cas dans tous les pays maghrébins. B…, de sa part, leur apportait quelques moments de détente. Ils se plaisaient ainsi à la voir gesticuler dans un code à elle seule. Ils aimaient à l’entende proférer des injures ou sortir un flot de phrases dans une cacophonie qui les fait tordre de rire. A toutes les questions qu’on lui pose, il n’y a que très peu de réponses qui soient appropriées.
Al’ aide d’un peigne rond en plastique, complètement délabré, elle se grattait les démangeaisons causées par la crasse. Impossible de la regarder faire sans que vos sens ne s’émeuvent. Seul l’accès à la nuque qui s’avère impossible. Toute plaintive, elle supplie quelqu’un d’affable de lui prêter main forte. Hélas ! Personne des assistants n’ose s’approcher d’un être aussi sale. Chadli, qui l’a tant de fois trompée par ses quolibets, l’amadoua en lui proposant de ses services mais elle refusa sachant qu’il n’était guère sincère.
A mesure que je la contemplais, des idées s’enchevêtraient et s’arc-boutaient dans ma tête. « Une histoire qui vaut bien la peine d’être narrée ! » Me dis-je confusément…
Elle aurait pu, pensé-je, être Tirunesh Dibaba, l’athlète Ethiopienne spécialisée des courses de fond et avec plein de médailles autour du cou, comme elle aurait pu être femme d’un président dans le pays des nés coiffés ; mais elle n’est que la malheureuse B…, fille de l’obscurité engendrée par H. la folle.
Vouée au mépris quotidien, lapidée par les garnements dans les rues, B… arrive à s’imposer avec ses dents toutes blanches au sourire. Après avoir glandé dans les rues de la ville jusqu’aux matines, elle eut tout le froid de cette nuit d’hiver dans les os de son corps maigrichon. Elle sentit le besoin de reposer ses muscles endoloris et fermer ses yeux pour ne plus penser à ce monde crapuleux. La faim l’essorait…
Elle retourna mendier un hamburger sous les regards attendrissants de Chadli et le sourire narquois des clients. On lui offrit aussi une couverture dont elle se saisit passionnément et alla finir le dernier quart de la nuit emmaillotée sur le trottoir d’en face de la rue oued dahab qui n’a de l’or que le nom. Ainsi, la malheureuse, avait-elle fini toutes les nuits, ses flâneries en cocon délirant dans le coin d’une rue.
Les meilleurs amis de B… étaient d’une autre espèce et avec lesquels elle s’entendait merveilleusement bien. Les chiens errants. Ces êtres ont toujours représenté un danger public. Une fois de trop, ils sont abattus à la demande des citoyens par les autorités municipales. Tandis qu’avec B, ces bêtes paraissaient inoffensives. Un traité de paix est signé bizarrement avec chiens et chats. Un vivre ensemble est instauré. Apparemment, depuis l’avènement de cette bougie brune dans le quartier, on ne parle ni de belligérants, ni de guerres tribales chez ces canidés. On est tous du même rang social. Tout doit vivre dans l’harmonie, la quiétude et la tranquillité.
A suivre…